• 1 - Madame LUCAS

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    Mme Lucas n'était pas très très gentille. Elle ne m'insultait pas, ne me disait pas de choses déplaisantes, ne me pinçait pas quand je passais près d'elle car il y a plusieurs façons d'être désagréable ou simplement hostile à l'égard de quelqu'un : il suffit de regarder la personne d'un air froid ou de ne pas lui dire un mot... Je n'allai chez Mme Lucas que deux ou trois fois, étant amie avec sa fille. Celle-ci m'avait invitée à venir la rejoindre chez elle et à y passer un moment. L'appartement des Lucas était petit et lorsque je m'y rendais, la première personne sur laquelle je tombais était Mme Lucas. Elle était assise dans un fauteuil, je lui disais bonjour mais je ne me souviens pas qu'elle me répondait. Par la suite, elle se contentait de me fixer des yeux sans mot dire, ce qui me mettait particulièrement mal à l'aise. Dans ses yeux je lisais de la rancoeur  et je pensais savoir pourquoi : sa fille évoquait volontiers son appartenance à un milieu social modeste et s'en plaignait. Par ailleurs, lorsque, devant ses parents, elle faisait allusion à ses amies, toutes issues de milieu bourgeois, elle insistait sur le fait qu'elles habitaient une grande maison entourée d'un grand jardin ou que leur famille possédait plusieurs pied-à-terre dans la région... Elle les présentait comme des filles chanceuses tandis qu'elle-même n'était qu'une migrante d'origine espagnole dont les parents étaient des ouvriers. C'est de cette façon-là qu'elle leur avait parlé de moi et le résultat était que sa mère m'en voulait. Je la sentais également trop timide pour m'adresser la parole ne serait-ce que pour me dire il va pleuvoir.

    Son mari (le père de Rosita), au contraire, était cordial. Il était aussi gentil que sa femme était glaciale. Il m'appelait par mon prénom et me tutoyait, me parlant comme un ami. Un jour, je suis allée voir Rosita vêtue d'un manteau de fourrure. C'est une erreur que j'avais commise : jamais je n'aurais dû rendre visite à Rosita, vêtue de la sorte! Elle tint à tout prix à l'essayer : forcément, il lui allait impeccablement car nous avions la même taille, elle et moi. Elle alla se montrer à ses parents dans ce manteau. Son père se sentit honteux de ne pas pouvoir offrir à sa fille un manteau de fourrure aussi joli que celui-là et il lui dit : "Pardonne-moi, Rosita, de ne pas être capable de t'offrir un manteau de ce genre-là mais mes faibles revenus m'en empêchent, tu le sais bien... Crois-moi, si je pouvais t'en offrir un comme celui-là, ce serait avec joie que je le ferais! Excuse ton humble père de tirer le diable par la queue comme il le fait... " Rosita lui répondit : "Ce n'est pas grave, papa. Je suis très heureuse avec vous car vous êtes très gentils : ça vaut tous les manteaux de fourrure du monde... !" L'incident fut clos mais cela me servit de leçon : il ne fallait pas que je m'habille élégamment lorsque j'allais voir cette amie d'origine modeste. 

    Un autre jour, alors que j'étais chez elle, Rosita m'invita dans sa cuisine. Je me rendis compte que son appartement n'était finalement pas si petit que cela car sa cuisine était relativement spacieuse. Sa mère avait fait l'acquisition d'oeufs frais et elle se mit en devoir de faire des omelettes. Rosita m'invita à prendre place en face d'elle à la table de leur cuisine. Elle y déposa deux assiettes et deux fourchettes et me servit une omelette après s'en être servie une. "Elle est bonne... !" dis-je à la jeune fille après en avoir avalé une ou deux bouchées. "Maman se débrouille pour acheter toujours des oeufs frais pour que ses omelettes soient toujours succulentes... !" Pendant ce temps-là, Mme Lucas, appuyée sur sa cuisinière, me dévisageait sans mot dire, ce qui me mettait encore une fois très mal à l'aise. J'étais timide en ce temps-là et je ne savais pas quoi lui dire ni quelle attitude adopter devant elle.

     2 - BERNARD

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    Rosita et moi avions une amie commune qui s'appelait Monique. C'est même par Monique que j'avais connu Rosita. Comme moi, Monique était issue de famille bourgeoise et elle avait trois frères. Monique, Rosita et moi étions trois filles qui rêvions de nous marier. La famille de Monique possédait un chalet en altitude où elle adorait se rendre lorsque les vacances de Noël, de février ou de Pâques survenaient. Qui plus est, Monique adorait inviter des amis ou des collègues à venir y passer deux ou trois jours avec elle et sa famille. Un jour, lors de vacances de Pâques, elle invita Rosita à venir y faire un petit séjour en compagnie de ses proches. Au cours de ce séjour, son demi-frère Bernard s'y trouvait. Il était né d'un premier mariage de son père. Il vivait et travaillait à Paris :  de facto, je ne le voyais que rarement lorsque je rendais visite à Monique chez elle. Bernard adorait le chalet familial qui était beau, confortable et à deux pas des pistes de ski. Il était en outre lié à d'excellents souvenirs familiaux. Pendant le séjour, Rosita tâcha de se montrer toujours d'excellente humeur, souriante voire même un soupçon espiègle... Elle appréciait la chance inestimable que les dieux lui servaient sur un plateau d'argent : être invitée dans le magnifique chalet de montagne d'une famille nantie! Bernard était aux petits soins pour elle, aussi lorsqu'il lui proposait une randonnée sur le domaine skiable, n'hésitait-elle pas une minute à dire oui! De confidences en sourires échangés, d'entente cordiale en "repas raclettes" partagés, Rosita se sentait submergée par de tendres sentiments pour le frère de son amie et collègue. Le garçon adorait oublier qu'il y avait eu une autre femme dans sa vie, une blonde,  ce premier mariage s'étant soldé par un divorce. La brune Rosita saurait lui faire oublier les affres de la désillusion. A la fin de leur séjour, elle et Bernard annoncèrent leurs fiançailles à Monique et à sa famille. Pour Monique, ce fut un coup dur mais elle finit par s'y habituer.

    Rosita, maintenant, n'enviait plus ses copines "riches". Elle aussi rejoignait le clan des bourgeois car Bernard, intelligent comme ses frères, avait fait de bonnes études et exerçait un métier parfaitement correct. Pourtant, même en étant devenue l'épouse de Bernard, elle n'oublia jamais ses origines modestes et y faisait allusion de temps en temps dans la conversation en s'en plaignant encore...


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